Invité Invité
| Sujet: [Conte] Le Conte des Rameuses. Dim 15 Juil 2012, 13:16 | |
| Le Conte des rameuses
Un jour de tristesse, le pharaon Snéfrou parcourut toutes les pièces de son immense palais. Il s'ennuyait et cherchait depuis des heures un amusement original, un divertissement nouveau, un petit quelque chose de drôle, mais il ne trouvait rien. Il décida donc de convoquer ses ministres et tous ses enfants dans la Salle du Trône aux belles colonnes. - Parmi vous, qui pourrait me distraire ? Demanda le roi dès leur arrivée. - Appelez vos musiciens, proposa Khéops, son fils aîné. - Oui, le harpiste que vous aimez tant et… vos danseuses, ajouta l'un de ses serviteurs, sans oublier quelques acrobates. Majesté, ils sauront vous amuser. Hélas aujourd'hui, Pharaon n'avait envie ni de musique, ni de danses, ni d'acrobaties. Et personne ne réussit à distraire le roi. Snéfrou remarqua alors l'absence du magicien Djadjaémonk, nom aussi célèbre qu'amusant puisqu'il signifie Crâne-en-vie. - Comment se fait-il que Djadjaémonk ne vienne pas alors que je l'ordonne ? S'énerva le roi. Gardes, allez immédiatement me le chercher ! La lance à la main, les hommes s'inclinèrent et disparurent.
Quelques temps après, ils revinrent en compagnie du magicien qui, comme le veut la coutume, se prosterna devant Pharaon. Son front toucha le sol. Il attendit sans bouger au beau milieu de la Salle du Trône aux belles colonnes. - Relève-toi et écoute-moi, Djadjaémonk, commanda le roi. Pendant des heures, j'ai parcouru toutes les pièces de mon immense palais à la recherche d'un amusement original, d'un divertissement nouveau, d'un petit quelque chose de drôle. Mais en vain et je m'ennuie horriblement. Mes ministres et mes enfants ne m'ont rien proposé d'extraordinaire... Alors, peut-être, auras-tu une bonne idée ? - Si Pharaon s'ennuie, voici ce que je lui conseille pour se distraire, répondit le magicien après avoir réfléchi quelques instants. Promenez-vous tranquillement jusqu'au lac qui se trouve dans vos jardins. Admirez les bleuets et les mandragores, les figuiers et les sycomores, les palmiers et la vigne qui grimpe sur les treillages. Ordonnez que, pendant ce temps, l'on prépare la plus belle de vos barques et que les plus belles femmes de la cour montent à bord de ce bateau. Majesté, croyez-moi, votre cœur se divertira en les regardant ramer. Elles descendront et remonteront lentement le long des rives en un va-et-vient délicieux. Vous les admirerez parmi les fourrés de papyrus et de roseaux, les oiseaux, les beaux rivages du lac et les champs qui s'étendent au loin dans la campagne. - Voilà enfin une idée agréable ! Se réjouit Snéfrou. Merci mon bon Djadjaémonk... Vite, que l'on organise cette promenade. Que l'on prépare ma barque aux vingt rames d'ébène et d'or, aux poignées de santal et d'électrum. Que vingt jeunes femmes, choisies parmi les plus belles du palais, y embarquent. Je veux que leurs cheveux soient nattés et leurs corps recouverts de robes aux mailles serrées. Allons ! Exécutez mes ordres immédiatement, je pars vers le lac.
Tandis que l'on se précipitait pour lui obéir, le pharaon d’Égypte admirait dans les jardins royaux les bleuets et les mandragores, les figuiers et les sycomores, les palmiers et la vigne qui grimpait sur les treillages. À petits pas, il se dirigea vers le lac et s'installa confortablement sur la rive. Bientôt, il contempla, ravi, les plus belles femmes de sa cour ramant en cadence sur la plus belle de ses barques. Leurs cheveux étaient nattés. Leurs robes avaient des mailles serrées. Leur barque était équipée de rames d'ébène et d'or, aux poignées de santal et d'électrum. Les belles ramèrent encore et encore, descendant et remontant le long des rives. Elles passèrent dans un sens, repassèrent dans l'autre... Le cœur de Pharaon se réjouit de les voir parmi les fourrés de papyrus et de roseaux, les oiseaux, les beaux rivages du lac et les champs qui s'étendaient au loin dans la campagne. Son ennui avait disparu.
Le temps s'écoulait très agréablement. Le mouvement des rames était rythmé par les chants de l'une des femmes, debout à l'arrière de la barque. Sa voix merveilleuse charmait tous ceux qui l'entendaient. Cette jolie chanteuse portait au cou un bijou de turquoise tout neuf, en forme de poisson. Soudain, elle remarqua qu'une de ses nattes pendait, défaite, sur son épaule. Tout en chantant, elle la tressa de nouveau avec l'habileté que donne l'habitude. Mais, d'un geste trop vif, elle heurta son bijou qui tomba à l'eau. Aussitôt, elle se tut et ses compagnes s'immobilisèrent. - Eh, quoi : Vous ne ramez plus ? S'écria tortueusement Pharaon depuis le rivage. - Non, Majesté, répondirent les rameuses, car celle qui nous donne la cadence ne chante plus. Et tant qu'elle gardera le silence, nous ne pourrons plus ramer. - Pourquoi t'es-tu arrêtée si brusquement au milieu d'un chant ? Cria Snéfrou à la chanteuse. - C'est à cause de mon bijou de turquoise, Majesté. Il est tombé à l'eau tandis que je nattais mes cheveux ! - Voyons, s'amusa Pharaon soulagé par la simplicité du problème, veux-tu que je te le remplace ? - Non. J'aime ce bijou-là, mon bijou, et pas un autre, même s'il lui ressemble, répliqua-t-elle en fronçant les sourcils. Rien ne pourrait le remplacer pour moi ! - Tu ne verras pas la différence entre ton bijou perdu et celui que je t'offrirai, promit Pharaon. - Non ! Il est irremplaçable. - Puisqu'il en est ainsi, allez chercher le magicien Djadjaémonk, ordonna Snéfrou fort contrarié par l'incident. Il trouvera une solution.
Comme toujours, on se dépêcha d'obéir à Pharaon et le magicien arriva bien vite au bord du lac. Il se prosterna devant Pharaon. Son front toucha le sol. Il attendit sans bouger. - Djadjaémonk, mon cher frère, expliqua le roi. J'ai suivi tes bons conseils. En effet, mon cœur s'est diverti à voir ramer les plus belles femmes de mon palais. Tout allait bien jusqu'à ce que l'une d'elles laisse tomber à l'eau un de ses bijoux. À l'instant, elle s'est tue, semant ainsi le trouble parmi ses compagnes qui cessèrent de ramer. Comme je lui demandai la raison de cette pause, sais-tu ce qu'elle me répondit ? - Je l'ignore, Majesté. - « C'est à cause de mon bijou de turquoise tombé à l'eau tandis que je nattais mes cheveux ! » m'expliqua l'effrontée. Évidemment, je lui ai proposé de le remplacer, mais elle ajouta : « J'aime ce bijou-là, mon bijou, et non pas un autre ». Depuis, elle refuse de chanter et ses compagnes de ramer. Que faire, Djadjaémonk ? Que faire ?
Voyant la tristesse du Pharaon Snéfrou et celle de la jeune femme, le magicien décida d'agir sans délai. Lentement, il se tourna vers les eaux du lac, calmes et limpides, où le bijou avait disparu. Il prononça quelques formules magiques connues de lui seul. Puis, sous les regards surpris, admiratifs et satisfaits de Pharaon, des femmes et des serviteurs, Djadjaémonk ordonna à la moitié des eaux du lac de se poser sur l'autre moitié ! Tous l’écoutaient et attendaient, épiant ses moindres mouvements. Djadjaémonk doubla ainsi la hauteur du lac d'un côté et assécha l'autre côté. L'eau, profonde de douze coudées en son milieu, atteignait maintenant trois-quatre coudés après avoir été déplacée par le magicien. Alors, chacun vit le bijou de turquoise qui brillait au fond du lac, sur le sol sec. Il reposait tout simplement sur un fragment de poterie. Sous les yeux émerveillés de Pharaon, des femmes et des serviteurs, sans un mot, sourire aux lèvres, Djadjaémonk alla le chercher et le rendit à sa propriétaire qui, toute heureuse, l'accrocha à son cou. Ceci fait, après avoir prudemment regagné le rivage, le magicien prononça quelques formules magiques connues de lui seul... Et les eaux du lac reprirent leur place habituelle. De nouveau, la chanteuse chanta et les rameuses ramèrent. Les plus belles femmes du palais descendirent et remontèrent le long des rives du lac. Elles passèrent dans un sens, repassèrent dans l'autre. Le cœur de Pharaon se réjouit de les voir parmi les fourrés de papyrus et de roseaux, les oiseaux, les beaux rivages du lac et les champs qui s'étendaient au loin dans la campagne. La fête dura tout le jour.
Le soir venu, pour remercier Djadjaémonk, le roi lui offrit toutes sortes de bonnes choses : des gâteaux par centaines, des jarres de bière par dizaines et de l'encens parfumé. Alors, le magicien rentra chez lui escorté par des nombreux serviteurs lourdement chargés. Sources : Connus par le papyrus Westcar, ce conte date de la fin de l'époque des Hyksos (vers 1600 av. J.C.), mais l'original peut avoir été écrit avant la XIIe dynastie (avant 1800 av. J.C.).Pour ceux qui veulent en savoir plus sur Snéfrou : Par ici Wikipédia |
|