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| Sujet: [Conte] Le Conte du Naufragé. Sam 11 Aoû 2012, 13:10 | |
| Le Conte du naufragé.
Un beau matin, il y a très longtemps, après avoir embrassé ses enfants et sa femme, un noble Égyptien quitta sa maison, sa ville et son pays pour partir loin sur la Mer-Très-Verte, Pharaon lui ayant ordonné d'aller dans ses mines de cuivre et de turquoise. Pendant des jours et des nuits, il vogua à bord d'un immense navire de cent vingt coudées de long sur quarante coudées de large. À bord, il y avait cent vingt matelots, les meilleurs du pays d'Égypte. Qu'ils surveillent le ciel ou les rivages, leur cœur était plus courageux que celui des lions du désert. Ils savaient annoncer l'orage avant qu'il n'éclate et la tempête avant qu'elle ne se produise. Jour après jour, chaque matelot rivalisait de bravoure et de force avec ses camarades. On ne comptait pas un seul maladroit parmi eux.
Ils avaient quitté l'Égypte depuis longtemps déjà, naviguait tranquillement sur la Mer-Très-Verte loin de toute terre, lorsqu'un orage éclata. Comme ils poursuivaient leur chemin malgré la tourmente, l'orage redoubla. Le vent se déchaîna. La tempête devint si forte qu'elle souleva une vague haute de huit coudées. En peu de temps, le navire sombra et tous les matelots périrent, noyés, engloutis dans les flots déchaînés... Tous sauf un ! Le noble Égyptien se cramponna tant et si bien à une grosse planche provenant du bateau brisé que ce simple morceau de bois frappa les vagues, calma la mer et le protégea. Peu à peu, l'orage s'éloigna et le vent faiblit. Alors, avec une douceur étonnante, une vague de la Mer-Très-Verte le déposa à moitié inconscient sur une île inconnue plantée d'arbres de toutes tailles chargés de fruits et de toutes sortes. Seul survivant de cette terrible catastrophe, il passa là trois jour et trois nuits, solitaire, n'ayant que son cœur pour compagnon. Épuisé, désespéré, il s'allongea sous un palmier dont l'ombre le protégeait des brûlures du soleil. Il ne pouvait se lever pour cueillir des fruits ou attraper des oiseaux. Il pensait à son pays et à son roi. Il pleurait en songeant à l'Égypte qu'il ne reverrait peut-être plus jamais. Il tremblait à l'idée que Sa Majesté ne l'accuse d'avoir perdu son navire par sa faute s'il revenait. Quand enfin les forces lui revinrent, il partit chercher de la nourriture. Tout près du rivage, il trouva des figues, du raisin, des légumes magnifiques, des fruits de sycomore, des concombres aussi gros que ceux de son jardin et des oiseaux. Rien ne manquait ! Ne pouvant tout porter, il en laissa à terre tant ses bras étaient chargés et retourna se reposer sous son palmier. Là, après s'être rassasié, il alluma un feu et fit des sacrifices aux dieux. Soudain, il entendit un bruit terrible, comme un coup de tonnerre. Mais le ciel était clair et sans nuage. Était-ce une vague de la Mer-Très-Verte s'écrasant bruyamment sur le rivage ? Non ! La mer était calme et la brise légère. Alors sur cette île mystérieuse, où le bruit grossissait encore, les arbres se mirent à craquer. La terre trembla sous ses pieds. La peur envahit son cœur. Ses paupières se fermèrent...
Quand, après quelques instants de frayeur, l'Égyptien trouva le courage d'ouvrir les yeux, il aperçut un serpent magnifique rampant vers lui. L'animal mesurait au moins trente coudées et sa barbe, à elle seule, plus de deux coudées. Son corps était entièrement couvert d'or et ses sourcils étaient en lapis-lazulis véritable. À la vue de ce serpent gigantesque, terrifié, le naufragé se prosterna. Son front toucha le sol. Les arbres craquaient encore. La terre tremblait toujours. La peur ne quittait pas son cœur. - Qui t'a amené ici, Petit ? gronda le Serpent d'Or d'une voix grave. L'Égyptien resta muet devant tant de force et de splendeur. - Qui t'a amené sur cette île ? répéta l'animal divin... Attention, Petit, car si tu tardes à me répondre, je te réduirai en cendres. Ainsi, tu mourras et tu sauras ce que c'est que de devenir invisible pour toujours ! Tu n'auras pas de tombe et personne ne t'apportera d'offrandes pour ta vie éternelle ! Devant une telle menace, le naufragé rassembla tout son courage, mais ne put que bredouiller : - Tu me parles, et... je ne… comprends... absolument pas... ce que tu me dis...
Alors, le Serpent d'Or sourit et prit doucement le petit homme dans sa gueule gigantesque. Il le souleva de terre sans le blesser et l'emporta. Sur leur passage, les arbres craquèrent. La terre trembla. La peur resta dans le cœur du naufragé jusqu'à ce que l'énorme reptile le dépose enfin sur le sol, sans lui faire le moindre mal. Il était sain et sauf ! - Qui t'a amené sur cette île de la Mer-Très-Verte, sur ces rivages perdus au milieu des flots ? redemanda le serpent divin. - Voilà, lui dit l'Égyptien avec courage. J'allais aux mines de cuivre et de turquoise de Pharaon sur un immense navire. À bord, il y avait cent vingt matelots, les meilleurs du pays d'Égypte. Qu'ils surveillent le ciel ou les rivages, leur cœur était plus courageux que celui des lions du désert. Ils savaient annoncer l'orage avant qu'il n'éclate et la tempête avant qu'elle ne se produise. Jour après jour, chaque matelot rivalisait de bravoure et de force avec ses camarades. On ne comptait pas un seul maladroit parmi eux... - Continue, Petit, raconte ! l'encouragea le serpent. - … Nous avions quitté l'Égypte depuis plusieurs jours, naviguant tranquillement sur la Mer-Très-Verte, loin de toute terre, lorsqu'un orage éclata. Comme nous poursuivions notre chemin malgré la tourmente, l'orage redoubla. Le vent se déchaîna. La tempête devint si forte qu'elle souleva une vague haute de huit coudées. En peu de temps, le navire sombra et tous les hommes se noyèrent dans les flots déchaînés... Tous sauf moi qui me cramponnai à une grosse planche provenant du bateau brisé. Ce simple morceau de bois frappa les vagues, calma la mer et me protégea. Seul survivant de cette terrible catastrophe, me voici maintenant devant toi. Mais ce n'est pas ma faute si le navire coula... Ce n'est pas ma faute si les vents et les vagues me poussèrent jusqu'ici... - Ne crains rien, Petit, promit le Serpent d'Or. Chasse ta tristesse et ta peur. Les dieux et les déesses te protègent. Ils ont permis que tu vives. Ils t'ont confié à moi et déposé sur cette île où rien ne manque. Puisque tu es mon invité, personne ne te fera de mal. - Oh merci, bon et puissant seigneur ! balbutia l'Égyptien. - De plus, continua le serpent divin, comme la puissance de ma magie me permet de connaître l'avenir, je t'assure que, dans quatre mois, un navire viendra d'Égypte. Tu reconnaîtras les matelots et tu retourneras avec eux au pays... Je t'envie car celui qui peut, un jour, raconter aux siens les aventures passées, même les plus pénibles, connaît le bonheur. En entendant ces mots, le naufragé sentit son cœur se calmer, sa peur disparaître. Cependant, le Serpent d'Or parlait toujours. - Maintenant, Petit, assieds-toi et écoute mon histoire. Il y a bien longtemps, je vivais ici avec mes frères et mes enfants. En ces temps heureux, nous étions soixante-quinze beaux serpents. Hélas, un jour que j'étais parti pour une affaire importante, une étoile tomba sur l'île qui prit feu. Et, sans que je sache comment, ils brûlèrent tous ! Tous. Le serpent s’arrêta un instant, accablé par ces terribles souvenirs. - En découvrant à mon retour un monceau de cadavres carbonisés, je faillis mourir de chagrin, reprit-il enfin. Mais toi, Petit, si tu es courageux et si ton cœur est fort, tu regagneras ton pays. Tu reverras ta maison. Tu embrasseras tes enfants et ta femme, ce qui vaut mieux que tout. Ému, le naufragé se prosterna à nouveau devant le Serpent d'Or. - Dès mon retour au pays d'Égypte, je parlerai de ta puissance et de ta bonté à Pharaon, lui promit-il le front contre le sol. Pour te remercier de tout ce que tu fis pour moi, je t'enverrai des parfums exquis, des huiles douces et de l'encens. Je raconterai ce que j'ai vu sur cette île merveilleuse et comment j'y ai vécu. Alors, on te remerciera, on te glorifiera en présence des hommes les plus sages de tout le pays d'Égypte. Je sacrifierai pour toi des taureaux et des oiseaux. Je t'enverrai des navires chargés de toutes les merveilles du royaume. Je... - Pauvre Petit ! Oublies-tu que je suis le souverain du pays de Pount ? s'amusa le serpent divin. Possèdes-tu, toi l'envoyé de Pharaon, les parfums, les huiles et l'encens que tu me promets ? Ne vois-tu pas qu'ici, je ne manque de rien ? De plus, tu ne reverras jamais cette île que les flots de la Mer-Très-Verte recouvriront dès que tu seras parti... Mais pour l'instant, Petit, ne t'inquiète de rien.
Et le temps passa. Quatre mois s'écoulèrent sur cette île enchantée, une longue succession de jours et de nuits calmes et tranquilles. L'Égyptien ne manqua de rien : son cœur et son corps étaient comblés car le serpent divin devinait ses moindres désirs.
Puis, un beau matin, un navire apparut à l'horizon. Il venait du pays d'Égypte comme le Serpent d'Or l'avait prédit. Aussitôt, le naufragé grimpa joyeusement au sommet d'un grand arbre. De là-haut, il reconnut le bateau et ses matelots. - Oui, je connais ces hommes ! se réjouit-il. Et il courut annoncer la nouvelle au serpent, une nouvelle qu'il connaissait déjà. - Rentre chez toi en bonne santé, lui dit l'animal divin. Je te souhaite bon voyage et bonne chance. Va ! Retrouve au plus vite ta femme et tes enfants. Fais que mon nom soit honorablement connu et respecté dans ta ville. C'est tout ce que je te demande. Maintenant, Petit, emporte ces cadeaux que les matelots t'aideront à charger sur le navire. Des larmes coulèrent sur les joues de l'Égyptien tandis que le Serpent d'Or lui offrait huiles, parfums, collyre, encens, arbre à oliban, myrrhe odorante, queues de girafe, défenses d'éléphant, chiens de chasse, singes à longue queue, babouins et toutes sortes de précieuses merveilles. - … Dans deux mois, conclut le serpent, tu embrasseras ta femme et tes enfants. Va ! Il est temps de partir. Le naufragé remercia, une dernière fois, le Serpent d'Or. Il se prosterna, puis s'éloigna. Il se sentait à la fois triste de le quitter, heureux de retrouver les siens et inquiet de l'accueil qui serait fait au seul rescapé d'un naufrage.
Sur le rivage, les matelots l'attendaient. Après avoir rempli leurs jarres d'eau fraîche, cueilli des fruits et ramassés des légumes, les hommes installèrent à bord leurs provisions et les nombreux cadeaux du Serpent d'Or. Quand tout fut prêt, le navire gagna le large. Le vent gonfla la voile. Pendant des jours et des jours, il vogua sur l'immense Mer-Très-Verte vers le nord, vers le royaume de Pharaon. Il arriva au pays d'Égypte deux mois plus tard, exactement comme le serpent l'avait prédit.
Dès son arrivée au palais, le naufragé fut reçu dans la Salle du Trône aux belles colonnes. L’œil noir et le sourcil froncé, Pharaon l'attendait impatiemment, entouré des sages du royaume. Il voulait savoir comment son navire et tout son équipage avait pu disparaître dans les flots de la Mer-Très-Verte, tous sauf lui. Mais ses critiques restèrent en son cœur lorsqu'il vit cet homme suivi de matelots chargés de dizaines et de dizaines de cadeaux fabuleux. - Raconte-moi tes aventures, lui demanda le roi. Seuls les dieux ont pu te permettre de survivre. Silencieux et attentifs, Pharaon et les sages du royaume écoutèrent le naufragé qui, son récit achevé, offrit à Sa Majesté les merveilleux présents du Serpent d'Or. - Tu m'as ouvert ton cœur et parlé avec des mots justes, reconnut le roi en se levant de son trône. Tu as été honnête et courageux, aussi mérites-tu d'être récompensé. Je t'élève en ce jour au rang d'Ami Royal, je t'offre des terres et deux cents paysans pour les cultiver. Mais... tu dois être pressé de revoir les tiens ? - Oui, Majesté. - Va. Cependant, n'oublie pas qu'à la fin de la saison d'été, je veux que tu partes pour faire ce que tu devais dans mes mines de cuivre et de turquoise. Tu embarqueras sur l'un des mes navires et tu traverseras la Mer-Très-Verte. - Oui, Majesté. Alors, enfin, l'Égyptien put quitter le palais royal et rentrer chez lui. Il revit sa ville et sa maison. Il embrassa sa femme et ses enfants. - Pendant longtemps, très longtemps, leur raconta-t-il le soir même, je voguai à bord d'un immense navire de cent vingt coudées de long sur quarante coudées de large. À bord, il y avait cent vingt matelots, les meilleurs du pays d'Égypte...
Sources : Connu par un papyrus du Moyen Empire ( 2000-1700 av. J.C. ) cette histoire semble dater du début de la XIIe dynastie ( vers 1800 av. J.C. )
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