Après Shiva, Kali au panthéon de la théorie quantique
Construire un formalisme adapté à des particules quantiques composites et visualiser leurs interactions, ce qui présente un grand intérêt pour contrôler les manipulations de spin dans des qubits, est chose faite à l’INSP. Dans une publication récente (2), les théoriciennes de l’équipe « Nanostructures et systèmes quantiques » ont étendu le formalisme qu’elles avaient développé pour des bosons composites faits de deux fermions, au cas de particules quantiques, bosons ou fermions ayant un nombre arbitraire de composants. Pour traiter les bosons composites faits de deux fermions, elles avaient inventé les « diagrammes Shiva » ; elles les prolongent aujourd’hui par les « diagrammes Kali ».
Au milieu du siècle dernier, des techniques avaient été proposées pour traiter les interactions entre un très grand nombre de particules quantiques élémentaires. Feynman en avait donné une représentation diagrammatique, éclairante pour la physique, puissante pour le calcul. Mais personne n’avait vu, jusqu’à ce jour, comment construire un formalisme adapté à des particules quantiques composites, ni même bien sûr, comment visualiser leurs interactions.
Depuis une dizaine d’années, des théoriciennes de l’INSP, s’intéressent à des particules quantiques composites faites de deux fermions. Ceci, dans le but de décrire « proprement » les interactions entre un très grand nombre de bosons faits de deux fermions, comme les « excitons » d’un semiconducteur. Cette recherche est importante, car elle est à la base des manipulations de spin pilotées par des impulsions laser ultracourtes et non absorbées, ce qui présente l’énorme avantage de ne pas laisser d’effets rémanents.
L’entreprise était a priori osée, puisque jusqu’à ce jour, les méthodes proposées pour traiter les interactions entre un très grand nombre de particules quantiques, appelées « effets à N corps », ne sont valables que pour des particules quantiques élémentaires.
Par contraste avec les méthodes existantes, fondées sur une algèbre de scalaire, les « fonctions de Green », leur formalisme est essentiellement opératoriel : il repose sur un ensemble de commutateurs entre l’Hamiltonien du système et les opérateurs qui créent les bosons composites. Ce formalisme à deux fermions vient d’être récemment étendu aux « paires de Cooper », qui sont à la base de la compréhension usuelle de la supraconductivité. Pour visualiser la physique associée aux interactions entre bosons composites faits de 2 fermions comme les excitons, ces théoriciennes de l’INSP ont inventé des diagrammes faits d’un ensemble de « 2 bras », baptisés du nom du dieu indien, Shiva. Un exemple est donné dans la figure 1.
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Diagrammes de Shiva des intéractions de fermions dans 5 bosons composés de 2 fermions, et 2 bosons composés de 3 fermions.
Très récemment, ces théoriciennes ont réussi à étendre leur formalisme à des particules quantiques faites d’un nombre n arbitraire de fermions, c’est-à-dire de type soit boson soit fermion, suivant la parité de n. Ce formalisme repose sur (n+2) relations de commutation, toutes des commutateurs pour des bosons composites, alors que pour des fermions composites, il y a, à la fois des commutateurs et des anticommutateurs .
Pour représenter les échanges entre particules faites de n fermions, elles ont inventé de nouveaux diagrammes à « n bras », qu’elles ont appelés du nom de la déesse indienne Kali. Cette dernière est beaucoup plus méchante que le dieu Shiva ; la physique de ces échanges est elle aussi plus « méchante », car beaucoup plus compliquée ! Un exemple est donné dans la figure 3.
Figure 3 :Diagramme Kali pour des échanges entre 3 fermions composites faits de 3 fermions ; les lignes sur la droite sont là pour mieux visualiser ce qui arrive aux trois fermions.
Ce formalisme permet de traiter les effets à « N corps », entre particules quantiques composites, que celles-ci soient des bosons ou des fermions. Il possède maintenant une représentation diagrammatique qui permet de visualiser cette physique très particulière liée aux échanges des composants fermioniques de ces particules. Ces diagrammes sont de fait, aussi puissants que les diagrammes de Feynman, à la fois pour « voir » la physique traitée et pour la calculer de facon simple. Il ne manque plus, pour avoir une théorie à « N corps » absolument complète, que d’étendre ce formalisme aux températures finies, l’astuce proposée par Matsubara pour les particules quantiques élémentaires ne marchant plus. Cette extension est en bonne voie !
Pour en savoir plus
1) The many-body physics of composite bosons, M. Combescot, O. Betbeder-Matibet and F. Dubin, Physics Reports 463, 215-320 (2008).
2) General many-body formalism for composite quantum particles, M. Combescot and O. Betbeder-Matibet, Phys. Rev. Lett. 104, 206404
Source:
http://www.insp.jussieu.fr/Apres-Shiva-Kali-au-pantheon-de-la.htmlPersonnellemment j'ai toujours pensé que parmi les nombreuses religions, c'était l'hindouisme et le bouddhisme qui appréhendaient le mieux notre univers et surtout sa structure