Silence, doux silence
18 Mai 1960
Jour 1
Mon périple se déroule comme prévu, mon carnet se remplit d’une foule de note, et mes destinations pour la mémoire de l’Irlande se font de plus en plus magnifique, les îles Skellig et ses monastères celtes au Sud, la vallée de la Boyne et ses innombrables merveilles du néolithique à l’Est, et la mythique chaussée des géants avec ses formations basaltiques au Nord.
Et maintenant, direction l’Ouest pour clore mon ouvrage ! Espérons seulement que ma Vespa tienne le coup pour ce dernier trajet…
Signé
Ruben Fleisher
19 Mai 1960
Jour 2
Après mûre réflexion, ma destination m’attend dans la région du Connaught, aux alentours du comté de Mayo, les tourbières, lacs et paysages me semblent fort intéressants.
Je pars dans deux jours, le temps de faire quelques préparatifs.
Signé
Ruben Fleisher
21 Mai 1960
Jour 4
Les paysages sont étonnants ! Que de changements, j’ai troqué les sols volcaniques pour l’humidité des côtes Atlantique ouest.
Un bar est à proximité de ma chambre d’hôtel, je vais sûrement trouver quelques infos sur la région.
Signé
Ruben Fleisher
24 Mai 1960
Jour 7
Après quelques vagabondages, plusieurs habitants m’ont conseillé le côté Nord du comté, vers la falaise de Moher, réputée pour son décor presque apocalyptique causé par les flots et les vents. Plusieurs manoirs et cottages y demeurent cependant, serait-ce mon dernier sujet ?
Signé
Ruben Fleisher
25 Mai 1960
Jour 8
Bon… ma précipitation m’a encore poussé à l’erreur, je suis partis pour Moher, trop tôt sûrement, la Vespa n’avance plus, je suis bloqué, je ne sais pourquoi ni comment, c’est apparu tel la foudre, plus rien, plus rien du tout, et autour de moi, rien, seulement une vieille bâtisse sûrement abandonnée, les paysages qui m’encerclent sont vides de toutes vies, dénués de couleurs, de mouvements, comme figés dans le temps, la bâtisse, elle, est assez étrange, d’un bleu pâle, avec un toit ne m’inspirant pas une grande confiance, mais malgré tout ça… elle m’attire, comme une mouche sur une lumière.
Après tout, ça ne fera qu’un abri de plus.
Il est 16h, et la maison était loin d’être laissée à l’abandon, un homme m’a ouvert, assez âgé, la barbe blanchie par le temps, il dit s’appeler Ruben, comme moi, un homme assez étrange, mais un homme accueillant, des chiens couraient dans le grand salon, sans aucun bruit, ils passaient et repassaient, les bibelots me semblaient avoir été confiés à l’ouvrage des années, noircis, poussiéreux, je me suis finalement assis sur le divan, Ruben en face de moi.
17h, toujours avec le même calme régnant en ce lieu, j’expliquais la raison de ma venue, en réponse à ça, le vieillard m’esquissa un sourire, apparemment, ça ne l’étonnait pas plus que ça, mais c’est avec toujours autant d’hospitalité qu’il me proposa de passer la nuit ici, ne pouvant réparer la Vespa de suite, j’acceptai.
21h, après avoir passé le repas en compagnie de mon hôte, ce dernier m’a dirigé vers ma chambre, assez modeste, mais suffisante, pendant le souper, il m’a expliqué être forgeron, dès son plus jeune âge, il faisait divers outils, divers objets, c’était un artisan respectable, qui aimait son travail, son atelier était juste derrière, dans le jardin, il œuvrait toujours seul, ayant ses chiens comme unique compagnie.
La façon dont il racontait le passé était si… forte, le passé semblait si… présent, et quand il me raconta qu’il a dû cesser son activité pour une grave brûlure, les larmes ont coulées, les miennes aussi, je ne sais pourquoi, je ne sais comment.
À présent je suis dans la chambre, une odeur m’emplit les narines depuis quelques minutes, et une sensation de chaud me remonte le dos, je respire fort, le souffle saccadé, ça s’arrête et ça revient, je vais faire une pause je pense, j’écrirai demain..
Signé
Ruben Fleisher
26 Mai 1960
Jour 9
Je viens de me réveiller, il est 8h, les odeurs, les sensations, se sont stoppées, je vais descendre et en parler à Ruben je pense, cette maison est remplie de mystère, j’en oublis presque la raison de ma venue.
10h, Ruben était à la même chaise qu’hier, il avait un air vide, sans émotion, sans le vouloir vraiment je le sortis de sa torpeur énigmatique, et il reprit son activité.
À mes questions par rapport à hier soir, aucune réponse ne sortis de sa bouche, et le café fut pris dans le silence, encore le silence.
À présent je suis dans la chambre, j’observe, je réfléchis, j’écris, je me souviens, je frissonne, Ruben monte, il est 11h, je compléterai plus tard.
Je voyais les chiens, sentait la chaleur, ainsi que la dure odeur du charbon ardent, frapper, frapper, frapper le métal et le modeler, frapper, frapper, frapper le métal et fabriquer, sans interruption, sans complication, jusqu'à ce que le feu brûlant projette ses éclats incandescents, et le foyer fît ses petits, des petits brasiers répartis sur les étagères et les casiers, ils grandirent, grandirent encore et encore, prirent de l’ampleur, se propagèrent, se promenèrent dans l’atelier, et envahirent la maisonnée, des cris, des aboiements plaintifs, puis plus rien, plus rien d’autres que le feu silencieux, se baladant, dans ce silence à présent reposant.
Signé
Ruben ?