A l’heure actuelle, le terme de fée nous renvoie directement à l’image de cette petite femme ailée dont Tinker Bell tient rôle de modèle popularisé par Disney. Mais cette représentation contemporaine n’existe que depuis que les romantiques nous l’ont apporté. Dans les temps anciens, le cortège féérique était bien plus riche et plus vaste que les limites de cette acception. On y trouvait pêlemêle les boggans, les redcaps mais surtout ceux qui nous intéresserons ici, les Sidhes.
Tinker Bell vue par Régis Loisel Les Sidhes étaient et sont peut-être encore les fées partageant le plus de caractéristiques physiques avec les mortels. Leur taille va de moyenne à grande et ils sont dépourvus d’ailes. Plus proche de l’élément aérien, on trouve les sylphides, esprits féminins tirant leur ivresse dans le jeu des vents. Il est possible qu’une analogie se soit tissée entre celles-ci et les fées, ce qui aurait doté ces dernières d’une paire d’ailes par rapprochement. Mais ce gain a engendré une restriction quand à leur nature. Il est à noter que le mot Sidhe n’est pas sexuellement connoté. On trouve donc des Sidhes hommes tout autant que des Sidhes femmes.
Au Moyen-âge, on trouve la présence de nombreuses fées dotées de pouvoir magiques : Morgane, Mélusine, Vivianne. Elles peuvent tendre vers le bien comme vers le mal et disposent de pouvoirs liés à une forme de magie innée. Elles-mêmes font partie de l’univers magique. Pour retrouver le véritable visage des Sidhes, il faut nous tourner vers le peuple qui, au vu de son héritage folklorique, a entretenu le plus de rapport avec. Il s’agit des celtes du pays de Galles, d’Ecosse, d’Irlande et d’Angleterre.
Malheureusement, une recherche de témoignages directs nous conduirait immanquablement à Tinker Bell et autres femmes papillons ou libellules. Il est probable qu’un certains nombres d’élus privilégiés soient encore en relation avec les anciennes fées, par discrétion protectrice ou par peur, ils n’en diront rien. Une fois de plus, l’investigation part à la recherche de traces écrites.
Les plus proches et les plus fiables sont le fruit de deux poètes anglo-saxons à cheval entre le XIXème et le XXème siècle : George William Russell et John Butler Yeats. Au cours de sa vie, Yeats entra en contact avec plusieurs entités. Sa volonté de puiser dans l’essence des mythes de sa terre natale afin de la renouveler le conduisit forcément vers les fées. Il rassembla un corpus de textes divers sous le nom de
Fairy and Folk Tales of the Irish Peasantry, encore inconnu du public francophone par manque de traduction. Pour les curieux, il s’agira pourtant d’un des meilleurs ouvrages en la matière. Parallèlement à cela, Yeats produisit quelques somptueux poèmes sur le thème tels que "A Faery Song". Quand à l’œuvre de Russell, elle se révèle entièrement inextensible aux non bilingues. Pourtant, au vu de la profondeur et de la qualité de poèmes comme "The Call of the Sidhe" ou encore "The Palaces of the Sidhe", nous aurions à y gagner.
Portrait de Yeats Mais que disent vraiment ces deux auteurs sur les anciennes fées ? Et qui sont-elles ? Leur interprétation est la suivante : les fées existent car leur image vit dans notre esprit et nos rêves. Esprit et rêves se rattachent à la mémoire qui elle même se rattache à l’expérience personnelle de la vie. Cette expérience peut-être fécondée de deux façons : de l’extérieure par les mouvements secrets de la nature mais aussi de l’intérieur par le biais de l’imagination et des phantasmes. Ainsi donc, la fée incarne un idéal extrahumain, une image rendue vivante par le subconscient et entrée dans le subconscient par une certaine expérience qu’à l’homme de la vie. Il est donc envisageable de voir ou bien même de communiquer avec les fées en adoptant un perception et une approche différent du réel.
Mais le support premier de la tradition féérique repose avant tout sur les contes. Un nouveau problème se pose alors car, tout comme l’image de la fée dans la culture populaire actuel, le conte a également muté vers le socialement correct "ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants". Comme vous l’aurez peut-être compris, le crime est d’avoir délayer la part de ténèbres et de brutalité clairement affirmé par la tradition orale afin de les rendre plus consensuel et acceptable par rapport à l’étique.
Alors arrêtez de croire que les fées sont de gentilles petites choses. Les contes s’accordent sur le fait qu’elles disposent d’une magie, d’une beauté, d’une innocence et d’une cruauté exacerbé. Selon la tradition, elles se répartissent dans deux cours : la caste des Seeli (les bénis, des "trooping fairies" plutôt bien disposées envers l’humanité) et les Unseeli (les maudits, "solitary fairies" maléfiques). Leur structure sociale fonctionne sur un modèle royaliste dont le couple le plus connu est celui popularisé par Shakespeare dans Songe d’une nuit d’été : Titania et Obéron. En fonction des légendes, le nom des souverains diffère, Mab apparaissant régulièrement comme figure de reine.
Détail de "Titania et Bottom" par Sir Edwin Landseer Que sont devenues les anciennes fées ? Leur royaume n’est pas celui-de la mortalité bien que les fées puissent s’y déplacer, prenant souvent le couvert d’un masque afin de cacher leur nature. Les fées sont originaires d’un espace parallèle dont le nom gaélique est Tír na nÓg. Ce monde est régit par la féérie et ne peut-être appréhendé par les humains. Ses frontières sont floues mais il semble exister des points passerelles pouvant être activés par l’utilisation de rituels féerique (utilisant la magie du « Glamour » (la magie des fées tout simplement)). Cela dit, le voyage peut s’avérer dangereux et la maitrise du Glamour nécessite l’initiation par une fée. Pour ceux qui voudraient tenter leur chance dans cette voie là, la première étape pourrait-être La Roche-aux-Fées se situant en Ille-et-Vilaine. On dit que les mégalithes qui s’y trouvent durent agencés par le Glamour. Dans ce cas, il est probable que certaines fées y passent encore, nostalgique d’une époque ou la banalité avait moins d’emprise sur les gens. Bien sûr, toutes les campagnes britanniques sont également bonnes à visiter. Étudiez les personnes que vous rencontrez. Si l’un d’eux provoque une sensation de glissement du réel, allez l’aborder. C’est en tâtonnant que l’on finit par trouver.
Mais les endroits sauvages sont constamment mangés par l’urbanité. Quelle place tiendront les fées en ce XXIème siècle balbutiant ? S’adapteront-elles afin de revenir conquérir et égarer nos cœurs ou s’attarderont-elles de plus en plus dans leur royaume jusqu’à rompre tout commerce avec l’humanité ? Il en va à chacun d’y répondre. Pour conclure, je voudrais citer une belle phrase issue de l’œuvre de James Matthew Barrie : "Chaque fois qu'un enfant dit “Je ne crois pas aux fées”, il y'a une fée, quelque part, qui tombe morte". A bon entendeur, sachez préserver votre fraîcheur première.