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 Un continent englouti sous les flots.

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MessageSujet: Un continent englouti sous les flots.   Un continent englouti sous les flots. EmptyVen 04 Nov 2011, 18:12


L'Atlantide

L’histoire de l’Amérique avant la découverte de Christophe Colomb est une conquête de l’Américanisme. Cette belle branche de l’érudition, trop souvent dédaignée ou méconnue des académies, plus d’une fois persécutée, et, pour comble d’infortune, abandonnée tant de fois aux mains des rêveurs, des illuminés et des fous, n’en offre pas moins à la recherche humaine les annales vingt et vingt fois séculaires des habitants de la moitié de notre planète.



Brasseur de Bourbourg reprochait à nos linguistes de vouloir faire des cours de linguistique générale en laissant de côté les langues d’un hémisphère entier. Ne pourrait-on pas en dire autant pour presque toutes les branches de nos sciences, — de nos sciences historiques tout au moins, — et se demander comment on peut songer à entreprendre l’étude philosophique de l’homme et de la création, lorsqu’on néglige volontairement de s’occuper de la moitié du genre humain et de la moitié du globe qu’il habite? L’Américanisme, en dépit des circonstances fâcheuses qui ont entouré son berceau, en dépit des obstacles que la malveillance a répandus constamment sur sa route, occupera tôt ou tard la place élevée que lui assurent de droit les grands et magnifiques problèmes qu’il est appelé à résoudre. Et, s’il a été donné à l’illustre navigateur génois d’enrichir nos données géographiques par la connaissance d’un nouveau monde, il appartient aux américanistes, autres glorieux descubridores des siècles présents et à venir, de nous révéler les antiques annales de plusieurs grands centres de civilisation naguère encore complètement méconnus dans l’obscurité des siècles passés.

Mais, pour désigner ce monde a découvrir, cette terre promise de l’Américanisme, il faut un nom ; et, au moment où je prends la plume pour esquisser quelques-uns des tableaux les plus remarquables que nous révèlent les zélés pionniers de cette science nouvelle, je suis préoccupé de la recherche d’un nom, comme l’auteur de Mazeppa et de Beppo, au moment d’écrire un de ses plus long poèmes, le fut d’un héros :
I want a hero : an uncommon want,
When every year and month sends forth a new one,
Till, after closing the gazette with cant,
The age discours he is not the true one.



Amérique servit d’appellation à ce monde nouveau du temps de Ferdinand et d’Isabelle. En mettant le pied sur des terres jusqu’alors inconnues, les conquistadores, les chercheurs d or et de mines précieuses ne se préoccupaient guère des mille et mille années d’histoire qui s’étaient accomplies sur le sol trop riche qu’ils foulaient aux pieds. Le nom emprunté à Vespucci est aujourd’hui un anachronisme révoltant, quand on l’applique à des âges qui ne sont guère moins reculé que ceux où l’on place les origines de nos annales [1], et même, s’il fallait en croire certains érudits, auxquels nul n’a encore le droit de donner un démenti fondé, à des âges de beaucoup plus anciens que ceux des premières pyramides d’Égypte.

Il nous faut donc un nom archaïque comme l’objet lui-même qu’il doit servir à désigner, et, s’il se peut, un nom dont l’étymologie trahisse tout à la fois les naïves traditions du passé et les progrès de la science contemporaine.

Ce nom, je me suis demandé s’il y avait réellement inconvénient à l’emprunter au Critias et au Timée du maître d’Aristote. Quel qu’il soit d’ailleurs, les modestes recherches groupées dans ce travail n’en vaudront ni plus ni moins. Sans autre hésitation, j’adopterai donc celui que me fovirnit Platon, et j’appellerai Atlantide l’Amérique avant Colomb.

Bien des insanités, il faut le reconnaître, ont été débitées sur ce continent hypothétique
dont l’existence a été révélée par la bouche même de Critias, disciple de Solon, le célèbre législateur et l’un des sept sages de la Grèce. Cependant la science, qui a longtemps relégué le récit du philosophe grec dans le domaine de la fable ou du roman, tend à revenir, chaque jour, de plus en plus sur son jugement trop sévère ; et déjà plus d’un esprit sérieux, suivant la trace d’Alexandre de Humboldt, pense qu’il y a lieu de se préoccuper « d’un mythe qu’à tort on a cru une fiction de la vieillesse de Platon ».
Examinons donc ce mythe, en reproduisant tout d’abord les faits les plus caractéristiques qui s’y rapportent d’après le récit du Timée et du Critias :
Suivant le premier de ces écrits, les Athéniens auraient eu à détruire une puissante armée venue de la mer Atlantique, armée qui avait envahi insolemment l’Europe et l’Asie. Cette mer était alors navigable, et il y avait au delà du détroit appelé les Colonnes d’Hercule, une île plus grande que la Libye et que l’Asie réunies.

De cette île, on pouvait se rendre aisément aux autres îles, et de celles-là à tout le continent qui entoure la mer intérieure. Dans cette île Atlantide régnaient des princes très puissants qui avaient non seulement sous leur domination l’île entière, mais encore plusieurs autres îles et des parties de la terre ferme. Ils régnaient en outre, en deçà du détroit, sur la Libye jusqu’à l’Égypte, et sur l’Europe jusqu’à la Tyrrhénie. A une époque postérieure, des tremblements de terre extraordinaires et des inondations étant survenus, engloutirent, en un seul jour et en une nuit fatale, tout ce qu’il y avait de guerriers, et l’île Atlantide disparut sous la mer. La mer Atlantique cessa dès lors d’être navigable, par suite de la masse de limon que l’île submergée avait laissée à sa place.

Ces renseignements fournis par le Timée sont complétés par le Critias qui nous apprend, entre autres détails curieux, que la guerre en question avait eu lieu 9000 ans avant l’époque où écrivait Platon, c’est-à-dire il y a un peu plus de 11,000 ans ; et que le premier roi, qui s’appelait Atlas, donna son nom à l’Atlantide, qui était un pays riche en produits de toutes sortes, notamment en or et autres métaux précieux.

Au premier abord, quelques singuliers rapprochements viennent frapper l’esprit. Dans le nom même d’Atlantide, se trouve une racine mexicaine atl qui signifie « eau »; et cette désinence en tl porte un cachet essentiellement caractéristique des langues du Mexique.
Les Grecs, il est vrai, prétendent qu’ Atlas vient du thème inusité « je porte », parce qu’un roi de Mauritanie, ainsi nommé, passait pour supporter le Ciel comme le feraient des colonnes! Mais on sait que les Anciens n’étaient pas difficiles en matière d’étymologie et que les philologues de l’antiquité classique ne se faisaient jamais scrupule d’expliquer les noms étrangers par des racines de leur propre langue.

Ensuite il est à remarquer, comme l’a fait observer le savant doyen de l’Académie de Stanislas, qu’en parallèle avec les langues du Nouveau-Monde qu’on a définies par le terme générique de polysynthétiques, se trouve aux extrémités occidentales de l’Europe, l’idiome d’un peuple considéré comme appartenant aux époques les plus anciennes de notre continent, le Basque, dont le polysynthétisme est également un des caractères fondamentaux. Si l’on ajoute à cela qu’on a cru découvrir des rapports entre le Basque et le Berbère, idiome des autochthones de l’Afrique du Nord (Libye, Mauritanie, etc.), on est frappé de la coïncidence au moins singulière qui vient à l’appui de la doctrine relative à l’identification de l’Atlantide avec une terre quelconque du système américain.

L’Atlantide de Platon, d’après le récit de ce philosophe, fut, il est vrai, submergée en un jour et une nuit, de sorte que son histoire, en supposant qu’elle se soit jamais rattachée à celle des anciens Américains, aurait cessé de s’y rapporter depuis une dizaine de mille années! Mais, du moment où l’hypothèse, en rien invraisemblable d’ailleurs, de l’assimilation de cette Atlantide avec quelque grande île située à l’ouest au delà du détroit de Gibraltar, aurait été admise par la science, ne serait-il pas naturel de penser qu’il a dû rester, après le sinistre décrit dans le Critias, quelques portions intactes de ce continent englouti sous les vagues, et qu’une partie au moins de ses habitants a pu survivre, gagner une région plus occidentale encore, et s’y établir, là où nous devions retrouver plus tard les véritables populations américaines?


La géologie du Nouveau-Monde nous permet, dans une certaine mesure, de reconnaître les importantes modifications qui continuent à s’opérer aux contours de ce continent volcanique. Tandis que les côtes du Chili s’élèvent comme pour opposer une infranchissable barrière aux eaux inclémentes du Pacifique, les rivages orientaux de l’Amérique cèdent graduellement du terrain à l’invasion de ce même Atlantique, auquel Platon attribuait l’engloutissement du pays de ses Atlantes. A Bahia, et sur d’autres points de la côte orientale du Brésil, des dépressions récentes ont été constatées; l’exploration du fleuve des Amazones par Agassiz a rendu hors de conteste le phénomène d’affaissement qui se continue d’âge en âge dans ces parages. Dans l’Amérique du Nord, le mouvement géologique se manifeste d’une manière moins suivie. Cependant toute la partie du littoral de la baie de New-York, qui se termine au nord par le cap Cod et au sud par le cap Hatteras, a disparu sous les eaux de l’Atlantique ; et chaque jour l’Océan fait de nouveaux progrès dans cette région et sur la côte du New-Jersey. Une île qui figurait en 1649 sur une carte, comme offrant une superficie de 120 hectares, compte à peine aujourd’hui une vingtaine d’ares d’étendue à marée basse, et elle disparaît complètement à la marée montante [. Le golfe du Mexique, qui depuis la conquête, a déjà abandonné à la mer un sol de plus de 100 lieues d’étendue, n’est donc pas le seul exemple de ce genre qui ait été constaté. De nouvelles études permettront sans doute un jour de tracer la carte sous-marine de vastes régions situées à l’ouest de l’Europe et devenues le domaine exclusif de l’élément liquide. « Moins remaniée par les cataclysmes, a dit en effet Charles de Labarthe, l’Amérique, dans son système hydrographique si simple, si largement développé, si bien lié ou si propre à l’être, paraît avoir mieux conservé que le reste du monde les traces des opérations et des destinations primitives » .

Il est également à propos d’observer que la partie du continent américain dont la géologie a constaté l’envahissement par la mer est celle qui rapproche le plus ce continent de l’Europe méridionale et de l’Afrique. Ce sont ces envahissements qui ont réduit les Antilles à l’état d’archipel, et qui, constatés sur la côte nord-ouest de la Colombie jusqu’aux Guyanes, permettront probablement, un jour, de rattacher aux mêmes transformations orographiques la formation des îles Canaries, des Açores et du Cap-Vert. Ces îles, elles aussi, derniers restes d’une région plus étendue, vont s’amoindrissant de jour en jour au contact de l’Océan qui les attire dans l’abîme.
On se méprend, d’ailleurs, trop souvent sur la distance qui sépare l’ancien continent du nouveau. « La distance de continent à continent dit Alexandre de Humboldt, dans une direction N.-E. S.- O., sur laquelle se trouvent les îlots et écueils des Roccas, de Fernando Noronha, du Pinedo de San-Pedro et de French Shoal, est de 510 lieues, en supposant le cap de Sierra-Leone, d’après le capitaine Sabine, à la longitude de 15° 29’ 34", et le cap de San-Roque, d’après l’amiral Roussin et l’habile observateur M. Givry, à la longitude 37°3/ 26". Le point le plus rapproché de l’Afrique est probablement la pointe Toiro, près du village Bom-Jesus (lat. 5° 7’ austr.), tandis que la saillie la plus orientale de l’Amérique est de 2° à 3° plus au sud, entre le Rio Parahyba do Norte et la rade de Pernambuco ».
La distance qui sépare ainsi la côte du Sénégal de celle du Brésil est à peu près la même que celle que l’on compte de Marseille à l’isthme de Suez. Entre la côte orientale d’Irlande et le Groenland oriental, cette distance est sensiblement moindre et dépasse à peine celle de Marseille à Constantinople, calculée à vol d’oiseau.


Mais la question de ces distances n’a d’intérêt que pour expliquer la possibilité d’anciens voyages entre les deux continents supposés de tout temps identiques à ce qu’ils sont aujourd’hui; elle est secondaire, quand on cherche à établir l’hypothèse de changements considérables opérés à une époque reculée dans le bassin de l’Atlantique. Au contraire, il n’est pas inopportun de remarquer que la longue chaîne de montagne qui, partant des monts Rocheux, se continue par la Cordillère des Andes du nord au sud de l’Amérique, transforme ce continent en un immense versant exposé à Test, c’est-à-dire incliné dans la direction de l’Europe; et que ce versant, dont le faîte ne mesure pas moins de 6,500 mètres au dessus du niveau de la mer, ne le dépasse souvent que de quelques pieds sur son rivage oriental. En revanche, quelques îles, débris d’un sol envahi par l’Océan, présentent encore des altitudes considérables. Le pic du Carbet, aux Antilles, mesure 1,754 mètres de hauteur, et l’île de l’Ascension, sorte de station intermédiaire entre la côte de Guinée et le Brésil, s’élève à prés de 900 mètres au-dessus du niveau de la mer. Non loin des colonnes d’Hercule enfin, les îles Canaries se groupent autour du pic de Ténériffe qui, par son élévation supérieure à 3,700 mètres, est encore aujourd’hui le plus haut sommet africain.
De tels faits nous apportent tout au plus, il faut l’avouer, de vagues présomptions en faveur de la doctrine de l’Atlantide; mais ces présomptions acquièrent de la force, lorsqu’on étudie les traditions américaines qui semblent nous avoir conservé des souvenirs du cataclysme raconté par Platon. Quelles sont donc ces traditions?
D’un bout à l’autre de l’Amérique, les peuples indigènes ont conservé la mémoire de bouleversements géologiques dont ils n’osent raconter sans terreur les effroyables circonstances. La littérature et diverses cérémonies ou pratiques religieuses de l’ancien Mexique témoignent aussi des idées que professaient les Indiens au sujet de ces désastres.
Un recueil de peintures mexicaines, dont on ne possède malheureusement qu’une copie incomplète conservée à la Bibliothèque Nationale de Paris sous le nom de Codex Telleriano-Remensis, renferme dans sa première partie un exposé des principales fêtes de l’année. On lit, à la date de 12 yicatli, 30 janvier, dans les annotations espagnoles qui y sont jointes : « On célébrait la fête du Feu, » parce qu’à cette époque on réchauffait les arbres pour les faire bourgeonner. De quatre en quatre ans, on jeûnait huit jours, en mémoire des trois fois où le monde avait péri ; on appelait cette fête la fête de la Rénovation.

Le même document mexicain nous fournit, à l’occasion de la fête Atmotfli, célébrée en commémoration de l’écoulement des eaux diluviennes, une image à demi entourée du signe hiéroglyphique de l’eau ; et cette image reparaît souvent dans leurs peintures didactiques comme une perpétuelle réminiscence de l’antique cataclysme du sol américain.
Le Codex Chimalpopoca, ou Histoire Chronologique des États de Culhuacan et de Mexico, que Brasseur de Bourbourg nous a fait connaître par d’importants extraits, notamment par les fragments des textes américains qu’il a intitulés l’Histoire des Soleils, nous fournit également un récit de cette terrible commotion géologique. Et ce récit nous rappelle involontairement celui du Timée. A ce moment, dit l’auteur aztèque, « le Ciel se rapprocha de l’eau : en un seul jour (ggggg, a dit Platon), tout se perdit, et le jour nahui-xochitl consuma tout ce qui était de notre chair. » (Hualpachiuhin ilhuicatl : ça cemilhuitl inpoliuhque, auh in quicuaya nahui-xochitl inin tonacayouhcatca).
Puis le récit continue : « Et cette année était celle de ce-calli ; et le premier jour nahui-atl, tout fut perdu. La montagne même s’abîma sous l’eau. Et l’eau demeura tranquille pendant cinquante-deux printemps (c’est-à-dire pendant la durée d’un cycle, qui se composait, chez les Mexicains, d’une série de cinquante-deux années consécutives).
...« A la troisième époque (Soleil) appelée Quiahtonatiuh (Soleil de Pluie), il tomba une pluie de Feu ; » l’incendie se répandit avec une pluie de Cendres.
...« Et, en un seul jour, tout fut détruit par la pluie de feu ; et, au jour chicomé-tecpatly se consuma tout ce qui était de notre chair. »
L’Histoire Chronologique ajoute : « On dit que, pendant que la pierre de sable se répandait, on voyait aussi bouillir le tetzontli et se former des roches de couleur rouge. »



La représentation du cataclysme de l’antiquité américaine se trouve figurée dans plusieurs autres anciens manuscrits mexicains qui sont parvenus jusqu’à nous; et ce qu’il y a de remarquable, c’est que partout l’eau y est donnée sous la forme conventionnelle du signe idéographique de cet élément. Sur une des planches du grand Tonalamatl du Corps Législatif , on voit au milieu de ce signe symbolique l’image d’hommes se débattant avec les flots pendant cette terrible inondation diluvienne. Cette scène est également dessinée dans la 2e partie du célèbre manuscrit Le Tellier (pl. 38), et il n’est pas impossible qu’une idée analogue ait présidé à la composition de plusieurs planches du manuscrit Maya dit Codex Troano.

Une tradition des Tarasques, rapportée par Herrera, semble rappeler le même cataclysme. Le premier homme et la première femme, suivant cette tradition, avaient été faits d’argile: un jour qu’ils étaient allés se baigner, ils furent tellement imbibés d’eau, qu’ils tombèrent comme un peu de boue. Le Créateur dut alors recommencer son œuvre, et fit les deux êtres de cendres ; mais, cette fois encore, ils furent anéantis. Ce ne fut qu’au troisième essai, que l’homme et la femme, construits de métal, purent résister aux accidents et devenir les ancêtres du genre humain. La même tradition nous donne un récit du déluge qu’on dirait calqué, au moins dans quelques-unes de ses parties, sur le récit du déluge biblique.
Dans toute la péninsule du Yucatan, l’horreur du grand cataclysme de l’antiquité américaine a laissé de profondes traces. C’est ce bouleversement du sol que les Indiens désignent aux ruines de Mayapan sous le nom maya de Xbulnaïl, et vraisemblablement le même événement géologique que Cogolludo désigne par les mots hun-yecil ou inondation des forêts. Il y aurait là, suivant Brasseur, une confirmation de la doctrine suivant laquelle les flots auraient submergé, à une date relativement récente, une partie civilisée de l’antique région isthmique ; et cette doctrine acquerrait une nouvelle valeur par le Rapport du voyageur Georges Catlin, qui dit avoir trouvé des dépôts considérables de sable marin (sea sand) au sommet des édifices les plus élevés d’Uxmal. « La civilisation, dont les monuments du Yucatan sont les témoins muets, ajoute le savant abbé , aurait donc été détruite par un cataclysme plus moderne, et la péninsule, ou au moins une portion de la péninsule, aurait été sous la mer depuis l’érection de ses monuments. Nous avons nous-même recueilli cette tradition aux ruines de Mayapan : ce qui confirmerait sa véracité, c’est celle que rappelle Ordonez, recueillie par les Tzendales, au sujet de Telchac, aujourd’hui petit village à une lieue au nord de Mayapan, qui en aurait été anciennement le port ; la mer arrivait donc jusqu’à cet endroit. Cet écrivain ajoute que ce fut à Telchac que débarquèrent les Tzequils ou Chequils, qu’il appelle les ancêtres des Mexicains, et qu’ils allèrent de là fonder la ville de Zazacatlan ou Ghovel, dont les restes forment actuellement un faubourg de Ciudad-Real de Chiapas ou San-Cristobal. »
Chez les Quiches, Gucumatz avait été un des témoins de la grande inondation à laquelle l’Amérique devait l’arrivée des dieux qui furent, à l’origine, ses législateurs. Or, Gucumatz est le même que le premier Quetzalcohuatl, personnage qui joue un grand rôle dans la mythologie mexicaine, auquel on attribue la création du monde [20] et dont on a fait une personnification du Soleil. C’est ce qui explique pourquoi l’on célébrait, à la fin de décembre, des sacrifices en commémoration de celui qu’offrit Quetzalcohuatl pour remercier le Ciel de lavoir sauvé de l’inondation, où il faillit périr avec tous ses compagnons .

Non seulement le souvenir du cataclysme de l’Amérique préhistorique a été conservé au Mexique, dans la région Isthmique et au Pérou, mais on en a retrouvé d’incontestables traces d’un bout à l’autre du Nouveau-Monde, et jusque chez les tribus sauvages, chez lesquelles on n’a plus guère rencontré aucune trace de civilisation.

A l’origine des temps, suivant une tradition locale, les Mandans, qui vivaient dans une région souterraine, voulurent en sortir pour vivre à la lumière du soleil. A cet effet, ils grimpèrent sur une grande vigne, mais cette vigne ne put supporter le poids de tous ceux qui cherchaient à s’en faire une échelle pour sortir des régions infernales ; de sorte qu’à un moment donné la vigne se brisa et une foule de Mandans retombèrent dans l’abîme. Quelques privilégiés du sort purent seuls arriver au but. Ce sont eux qui ont formé le premier contingent de leur nation. Après la mort, ceux-ci vont retrouver leurs compagnons, que le terrible accident a séparés d’eux au commencement des siècles.

Les Caddoes, qui vivaient jadis dans une vaste contrée de prairies, «sur les bords de la Rivière-Rouge, rapportent qu’il survint anciennement une noyade épouvantable, dans laquelle périrent tous les hommes, à l’exception d’une seule famille que le Grand Esprit plaça sur un monticule, pour la sauver du désastre et assurer le repeuplement de la terre.

La tribu algonquine des Shawnèses prétend que ses ancêtres, venus du Nord, après avoir été longtemps ballottés par les flots, ont été poussés successivement du Nord au Sud et du Sud au Nord par l’élément liquide, et ont fini par traverser l’Océan sous la conduite du chef de la bande des Tortues. Ils ont de la sorte gagné une île, où ils se sont établis jusqu’au moment où la terre est redevenue habitable. Toutes les traditions indiennes de l’Amérique du Nord, aussi bien que les précédentes, s’accordent sur le fait d’un antique déluge universel qui aurait anéanti le genre humain, à l’exception de quelques élus, dont chaque tribu déclare modestement descendre.


Les Hurons croient que leur race est issue d’une femme nommée Ataentsic, laquelle serait tombée du Ciel, au-dessus duquel existe un autre monde. Mais la postérité de cette femme n’atteignit pas au delà de quatre générations, un déluge ayant alors submergé les humains, à un tel point qu’il fallut ensuite métamorphoser les bêtes en hommes pour repeupler la terre.
Enfin, les Groënlandais eux-mêmes qui, par leur situation aux confins des contrées polaires, eussent pu se trouver en dehors du théâtre où se sont propagées les traditions des autres peuples américains, ont également gardé le souvenir d’une grande inondation diluvienne. A cette époque, le monde fut englouti sous les flots et un seul homme échappa à la terrible tourmente. Pour témoigner de l’exactitude de leur récit, les indigènes rapportent qu’ils ont vu maintes fois, dans les régions inhabitées et fort lointaines de la mer, des débris de poissons et même des ossements de baleine sur les hauteurs les plus inaccessibles de leurs montagnes.
Il serait facile de multiplier considérablement les récits de traditions américaines se rattachant au grand cataclysme de l’antiquité transatlantique. Ce qui vient d’être rapporté suffit, il me semble, pour montrer combien a été persistant, sur toute l’étendue du Nouveau-Monde, le souvenir de cet effroyable désastre. Je n’ignore pas que l’idée d’un antique déluge se trouve également chez presque tous les peuples du globe ; mais, dans l’ancien continent, la tradition n’a pas imprimé sur l’esprit des peuples un sentiment de terreur à beaucoup près aussi indélébile. Et d’ailleurs les traditions diluviennes des nations de l’Europe et de l’Orient ne sauraient être regardées autrement que comme un témoignage, altéré si l’on veut par l’imagination populaire, mais néanmoins réel, indubitable, d’un grand événement géologique des périodes primitives de notre histoire. On ne peut refuser un caractère au moins aussi sérieux, aussi digne de la sollicitude de la science, aux notions qui nous restent du bouleversement des terres et des mers qui a eu lieu aux vieux âges de l’Amérique.
Le fait de ce cataclysme acquiert un nouvel intérêt lorsqu’on admet, avec les américanistes les plus autorisés, qu’antérieurement à la transformation du sol, qui fut la conséquence du désordre des eaux, l’Atlantide était une terre où une civilisation spéciale s’était déjà développée. Torquemada notamment soutient que l’Amérique était peuplée avant le déluge et, en outre, que ses habitants avaient une taille gigantesque . De la sorte, les Patagons de nos jours, que les voyageurs nous ont représentés, non sans un peu d’exagération, il est vrai, comme des hommes d’une stature extraordinaire, seraient peut-être des restes de ces premiers autochtones.
Mais le temps n’est pas venu où nous pourrons acquérir une idée quelque peu exacte de ce qu’étaient les habitants primitifs de l’Atlantide; et, pour l’instant, contentons-nous d’apercevoir quelques vagues lueurs d’un passé durant lequel l’Amérique ne formait point, comme durant les siècles qui précédèrent le glorieux voyage de Colomb, un hémisphère absolument isolé du reste du monde.


Source : http://fr.wikisource.org/wiki/Un_continent_englouti_sous_les_flots
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